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La chronique
de Lionel Maumary

Almanach des migrations

Premières nidifications lémaniques du Grèbe à cou noir

Lionel Maumary, Oiseaux.ch, 07.08.2013


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Fin juillet 2013, intrigué par les allées et venues incessantes d'un couple de Grèbes à cou noir dans la roselière de la réserve naturelle des Crénées (Mies VD) Hubert du Plessix découvre un nid contenant un oeuf. A l'autre bout du lac, dès le 3 août 2013, un couple de Grèbes à cou noir avec un poussin âgé de quelques jours est observé au large de l'embouchure du Grand Canal aux Grangettes VD. Il s'agit des premières preuves de nidification pour le bassin lémanique. Deux couples avaient déjà tenté de se reproduire aux Grangettes en 2009 mais sans succès, les nids ayant probablement été noyés lors d'une tempête. Des adultes accompagnés de jeunes capables de voler y avaient été observés le 12 juillet 1952, mais il pouvait s’agir de migrateurs. Une nidification a probablement eu lieu sur le Rhône en amont de Verbois GE en 1996.


La sous-espèce nominale du Grèbe à cou noir niche sporadiquement sur les étangs et petits lacs d’Europe méridionale et centrale jusqu’au sud de la Scandinavie, mais surtout en Europe orientale jusqu’à l’est du Kazakhstan. Le nord de l’Europe occidentale a été colonisé au cours du premier quart du XXe siècle, alors que les sites du sud de l’Europe et de l’Afrique du Nord ont presque tous été désertés depuis. D’autres populations et sous-espèces habitent la Mandchourie (Chine), l’Afrique orientale et l’Amérique du Nord. L’espèce hiverne principalement sur les lacs libre de glace et les côtes d’Europe occidentale, de la mer Noire et de la Caspienne.

En Suisse, le Grèbe à cou noir s’observe principalement en estivage, en migration et en hivernage sur les grands lacs du Plateau. Le Léman accueille la majeure partie de l’effectif hivernal helvétique, principalement dans le Petit Lac et dans la baie d’Excenevex (Haute-Savoie, France), mais aussi sur le Haut Lac entre Lausanne et Villeneuve. L’espèce ne niche régulièrement qu’au lac de Constance sur le lac Inférieur en Allemagne (Wollmatinger Ried, Radolfzell, Mettnau, baie d’Hegne), où la première preuve de nidification date de 1929. La première nidification certaine en Suisse a eu lieu en 1942 au lac de Sempach LU, la seconde en 1959 au Grand Moossee, suivies de la découverte d’une petite colonie de 5 couples parmi les Mouettes rieuses en 1960 au marais de Kaltbrunn SG. D’autres nidifications isolées ont suivi en 1961 sur l’étang de Biessenhofen, en 1962 au marais de Nuolen SZ et de 1969 à 1971 au marais de Neerach ZH parmi les Mouettes rieuses. Il n’y a pas eu de preuve de reproduction entre 1972 et 1977, puis un couple s’est reproduit en 1978 au lac de Joux VD à 1005 m d’altitude, site de reproduction le plus élevé d’Europe, où l’espèce niche presque chaque année depuis 1992. Entre 1978 et 1996, le Grèbe à cou noir a également niché entre Ermatingen TG et Triboltingen TG (5 nidifications), entre Bottighofen TG et Münsterlingen TG (2 nidifications), à Aegelsee (1 tentative), au Greifensee ZH (3 nidifications en 1996, où la reproduction avait déjà été suspectée auparavant), au marais de Kaltbrunn SG (10 nidifications en 1989, 90, 91, 92, 93, 96), à Wangen (1 nidification en gravière en 1993), aux Bolle di Magadino TI (1 nidification certaine), enfin sur la rive sud-est du lac de Neuchâtel avec 6 nidifications entre Cheyres FR et Gletterens FR, à Chevroux VD et au Chablais de Cudrefin VD. L’espèce niche irrégulièrement au delta du Rhin (2 nidifications en 1993 et 1994).

Des familles avec jeunes quittent parfois très tôt les lieux de nidification et se montrent dès fin juin sur les rives helvétiques du lac Inférieur. Au lac de Constance, les effectifs d’estivants en mue culminent à fin juillet pour diminuer progressivement en août et se stabiliser entre 100 et 200 individus dès le mois d’octobre. Sur le lac de Thoune, le pic est atteint en août, principalement dans les réserves de Gwatt BE et Weissenau BE. Au milieu du Léman, on observe un afflux important de migrateurs dès le mois d’août et surtout en septembre, regroupant plusieurs milliers d’individus pour la mue. Sur le lac de Neuchâtel, où l’hivernage était pratiquement nul avant 1976, le passage d’automne s’achevait à fin octobre ou début novembre, coïncidant avec l’installation en force des hivernants sur le Léman. Sur le lac de Joux, un passage relativement important s’étale d’août à fin octobre, avec au maximum 102 le 2 septembre 1977. La moitié des hivernants quittent le Léman en février et mars, mais le départ vers les lieux de nidification d’Europe orientale a lieu surtout en avril : p. ex. 200 devant Vidy VD le 11 avril 1986. Les séjours printaniers se prolongent parfois jusqu’à fin mai, surtout au lac de Constance où plusieurs centaines d’oiseaux attendent parfois la remontée des eaux pour s’installer.

Le Grèbe à cou noir est soumis à d’importantes fluctuations locales ou régionales dont les causes sont le plus souvent liées au régime des eaux. L’expansion de l’aire de nidification vers l’ouest et le nord est attribuée à l’assèchement des lacs dans les steppes dans la région de la Caspienne, causant des invasions lors d’années de sécheresse. En Suisse, l’effectif de mi-janvier a connu un essor spectaculaire depuis les années cinquante, surtout sur le Léman où l’on en comptait 275 en 1950, 1'000 en 1960, 2’240 en 1969, 3'200 en 1974 puis 4'750 au point culminant en 1983. Le Léman hébergeait 80 % de l’effectif hivernal helvétique à cette époque. Mais dès 1984, les effectifs s’y sont effondrés de deux tiers pour stagner vers 1’500 individus jusqu’en 1990, avant une nouvelle réduction à moins d’un millier dès 1991. A la fin du siècle, l’effectif hivernal sur le Léman s’est stabilisé autour d’un millier d’individus, représentant environ 60 % de l’effectif national. Les raisons de cette diminution, constatée aussi au lac de Constance, sont probablement liées aux ressources en petits poissons, car elle coïncide avec la disparition de l’Epinoche Gasterosteus aculeatus. Une partie de ces oiseaux s’est probablement déplacée vers les étangs bordant la Méditerranée, où les effectifs ont augmenté entre 1980 et 1990. Sur le lac de Neuchâtel, l’espèce était quasi inexistante jusqu’en 1974, puis on y a compté 6 à 19 individus entre 1976 et 1982 avant qu’une augmentation atteignant un pic de 128 individus en janvier 1990 ne s’y produise, valeur qui n’a pas été dépassée à la fin du siècle.

Pendant la période de mue estivale, les rassemblements se tiennent souvent très au large, notamment au milieu du Léman. Les oiseaux se tiennent généralement plus près du rivage en hiver. Le Grèbe à cou noir se nourrit de petits poissons et d’arthropodes (mollusques et larves d’insectes) qu’il recherche principalement à 1-3 m de profondeur, parfois jusqu’à 5.5 m. Il s’immerge pendant 30 secondes en moyenne, occasionnellement jusqu’à une minute, et peut parcourir plusieurs dizaines de mètres sous l’eau. Au printemps surtout, il picore aussi les insectes à la surface de l’eau. Pendant la période de reproduction, les larves d’insectes et de batraciens, les mollusques et petits crustacés prennent une place prépondérante du régime alimentaire. Plus grégaire que les autres espèces de sa famille, il s’associe souvent en petits groupes pour pêcher, ce qui augmente probablement le rendement individuel. Généralement silencieux, les oiseaux s’appellent parfois par des sifflements plaintifs « huît ».

Pendant la période de reproduction, le Grèbe à cou noir affectionne les plans d’eau peu profonds proches de roselières permettant l’ancrage du nid. Il construit un nid flottant à découvert, recherchant volontiers le voisinage des colonies de Mouettes rieuses qui lui assurent protection. Celles-ci peuvent donc jouer un rôle important pour une éventuelle installation durable, comme l’ont montré les cas des marais de Kaltbrunn SG et de Neerach ZH. Sur le lac de Sempach LU, le nid contenant 4 ?ufs a été découvert dans la roselière lacustre le 2 juillet 1942. La ponte la plus précoce a été constatée le 14 mai 1960 au marais de Kaltbrunn, mais la plupart ont lieu en juillet. Il n’y a qu’une couvée annuelle, comptant 2-4 ?ufs (1-5), pondus à 1-2 jours d’intervalle et incubés par les deux adultes pendant 19-23 jours dès la ponte du premier ?uf. L’éclosion la plus tardive a été notée le 10 août 1932 sur le lac Inférieur en Allemagne, et des poussins étaient encore portés et nourris par le couple le 17 septembre 1978 au lac de Joux VD. Sur le lac Inférieur, la plus grande colonie du Wollmatinger Ried (Allemagne) comptait 48 nids en 1949, 54 familles en 1983, 52 en 1984, 64 en 1986, 53 en 1990, 55 en 1994, 59 en 1995 et seulement 3 en 1996 par régime de basses eaux.

Afin de sécuriser les zones d’élevage des jeunes et de mue pendant la période estivale, les réserves naturelles de la rive allemande du lac Inférieur devraient être étendues, notamment au Hornspitze, au Markelfinger Winkels et au Wetterwinkels. Des dérangements importants dus aux feux d’artifice ont été constatés sur le lac de Thoune.



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