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La chronique
de Lionel Maumary

Almanach des migrations

Invasion de Faucons kobez

Lionel Maumary, Oiseaux.ch, 04.06.2015

Le printemps 2015 a vu un afflux inhabituel de Faucons kobez en Suisse. Des groupes comptant jusqu'à 12 oiseaux ont été vus dans la plaine de la Broye VD/FR notamment. Cette véritable invasion a d'abord été remarquée en Afrique du Nord (Maroc) puis en Espagne et en France. De tels afflux, autrefois réguliers, deviennent de plus en plus rares avec la disparition des gros insectes dans notre pays.


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Faucon kobez femelle et Hannetons communs à Gampel VS. L. Maumary.

L'abondance de migrateurs fluctue beaucoup d'une année à l'autre et peut prendre un caractère d'invasion comme au printemps 1990, lorsque des concentrations d'une centaine d'individus ont été observées simultanément dans la vallée du Rhin près de Coire GR et dans la plaine de Magadino TI. En Valais central, surtout entre Agarn et Gampel, les émergences cycliques de Hannetons communs Melolontha melolontha qui se produisent tous les 3 ans (les dernières en 1986, 89, 92, 95, 98 et 2001) incitent les Faucons kobez à faire escale en plus grand nombre et plus longtemps. L'année suivant une année à hannetons est également riche en observations, suggérant un retour traditionnel. L'espèce s'est cependant faite plus rare après 1990, ce qui reflète probablement le déclin constaté dans de nombreux pays d'Europe orientale. Au bord du lac de Constance, 368 individus (195 observations) ont été comptés de 1961 à 1980, contre seulement 211 (163 observations) de 1981 à 1995, ce qui représente une diminution significative de 20 %.

La répartition du Faucon kobez est liée au climat continental. Il niche dans les steppes boisées d'Europe orientale et du sud de la Sibérie, de la Baltique jusqu'à la Léna, au sud jusqu'au Kazakhstan. Avec 2'200 couples, la « puszta » hongroise est le principal bastion européen de l'espèce, la Russie comptant quant à elle 15'000-40'000 couples. Il a occasionnellement niché en France, notamment en 1993 en Crau, en Isère et en Vendée, ainsi que dans la province de Parme en Italie. Tous les oiseaux hivernent dans les savanes du sud-ouest de l'Afrique (Angola, Namibie, Botswana et Rhodésie). Le Faucon kobez effectue une migration en boucle, le passage s'effectuant à l'est de la Méditerranée en automne, avec jusqu'à 5'750 oiseaux comptés en Israël, et plus à l'ouest au printemps, avec plus de 5'000 oiseaux en mai 1992 au détroit de Messine (Sicile, Italie).

La Suisse se trouve à la limite occidentale de l'aire de migration printanière normale de l'espèce. Le Faucon kobez peut être observé au printemps dans toutes les régions de plaine, mais surtout dans le sud et l'est du pays, 66 % des données provenant du Tessin, des Grisons et du Valais central. Bien qu'il n'existe aucune preuve concrète de nidification, une ponte de 5 œufs aurait été collectée le 21 mai 1890 à Bellinzona TI et l'espèce aurait niché en 1918 à Rarogne VS et dans le Lötschental VS, mais ces données ne peuvent plus être vérifiées et paraissent douteuses aujourd'hui. Le Faucon kobez a niché en 1956 à Gaissau et en 1977 à Dornbirn, dans le Vorarlberg autrichien à proximité immédiate de la frontière.

Le passage automnal, qui représente à peine 3 % du flux total de migrateurs traversant la Suisse, dure de juillet à octobre, avec un maximum dans la première moitié de septembre. Le séjour d'un jeune du 4 octobre au 16 novembre 1975 en Ajoie JU est exceptionnel. Les premiers migrateurs de printemps arrivent dès mi-avril, exceptionnellement plus tôt (une seule donnée de mars), puis le passage s'intensifie rapidement et culmine pendant les deux premières décades de mai, ne laissant que quelques retardataires après mi-juin, parfois jusqu'en juillet. Aucun cas d'estivage n'est connu, les oiseaux observés en août étant probablement des immatures non nicheurs ou des migrateurs d'automne. Les migrateurs peuvent faire escale plusieurs jours ou plusieurs semaines dans un site favorable, surtout lors des années à Hannetons communs Melolonta melolonta.

Le Kobez est un oiseau des étendues ouvertes, avec une végétation herbacée basse mais pourvues de perchoirs et postes d'affûts, souvent près de l'eau. En migration, il fréquente les plaines cultivées parsemées d'arbres isolés, de bosquets, de haies, de vergers ou traversées par des lignes électriques. Il peut monter jusque vers 1'300 m sur les coteaux ensoleillés et arides du Valais central. Grégaire, ce petit faucon au vol nonchalant chasse les gros insectes (orthoptères et coléoptères principalement) dès les heures chaudes de la journée et parfois jusqu'au crépuscule. En Valais, le Hanneton commun Melolonta melolonta figure parmi ses proies favorites, qu'il capture et consomme souvent en vol après lui avoir arraché les élytres. Il chasse aussi depuis un piquet, une ligne électrique ou en marchant au sol, plus rarement en vol sur place contre le vent. De tous les rapaces, c'est l'un des plus strictement insectivores, les vertébrés tels que batraciens, lézards et micromammifères ne constituant généralement qu'une faible part du régime alimentaire, sauf pour nourrir les jeunes. Dans ses quartiers d'hiver africains il suit les fronts de pluie pour profiter des essaims de termites sur la savane. En Suisse, environ trois quarts des observations concernent 1-2 oiseaux et le dernier quart des groupes de 3-10 individus, les rassemblements comptant plus de 10 ind. ne représentant que 3,5 % des données. L'espèce est généralement silencieuse hors de la période de reproduction.

Le déclin du Faucon kobez en Europe est directement lié à l'utilisation croissante de pesticides pour l'agriculture intensive, qui réduit la quantité d'insectes, ainsi qu'à la mise en culture des steppes et marais. L'épandage à grande échelle de DDT, dans le but d'éliminer les Eurigaster ssp, notamment, a largement contribué au rétrécissement de son aire de nidification. La conservation de ce rapace purement insectivore implique une réduction de l'utilisation de biocides dans tous les pays d'Europe traversés pendant la migration ainsi que dans les zones d'hivernage en Afrique ; par exemple dans la plaine de Loèche en Valais central, l'offre en Hannetons communs semble en constante diminution, tendance qui va probablement s'accélérer avec l'exploitation d'un golf aménagé en 2000.



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