Oiseaux.ch

Le portail de référence des oiseaux sauvages en Suisse

Observation, étude, protection et photographie des oiseaux sauvages

La chronique
de Lionel Maumary

Almanach des migrations

Deux Cisticoles des joncs à Aubonne

Lionel Maumary, Oiseaux.ch, 29.10.2016

Deux Cisticoles des joncs sont découvertes le 26 octobre 2016 dans une friche à Aubonne VD par Chris Venetz et Aristide Parisod. Les données automnales de ce sylviidé abondant autour du bassin méditerranéen sont rares en Suisse. En effet, la Cisticole des joncs est le plus souvent sédentaire et atteint notre pays surtout en été, lorsque des couples tentent parfois de nicher au nord de leur aire de nidification traditionnelle.


illustration

isticole des joncs, Aubonne VD, 27 octobre 2016. L. Maumary.

La sous-espèce nominale de la Cisticole des joncs niche du sud de la France à travers les Balkans jusque dans l'ouest de la Turquie et le nord de l'Egypte, remplacée par C. j. cisticola sur la façade atlantique de la France, dans la péninsule Ibérique, aux Baléares et dans le nord-ouest de l'Afrique, et par C. j. neuroticus à Chypre, au Levant et en Mésopotamie; 3 autres sous-espèces se trouvent dans toute l'Afrique subsaharienne (à l'exception des déserts et des forêts tropicales), 3 dans le subcontinent Indien, 6 dans le sud-est de l'Asie jusqu'en Indonésie et 3 en Australie. Avec 1-10 millions de couples, le Portugal héberge 95% de la population européenne de Cisticole des joncs. Toutes les populations sont généralement sédentaires, à l'exception de celles d'Asie orientale. Tout comme la Fauvette mélanocéphale toujours présente aux Grangettes depuis une semaine (découverte le 20 octobre), et peut-être aussi l'Elanion blanc vu le 18 octobre en Argovie, ces Cisticoles pourraient avoir atteint la Suisse lors de l'épisode de foehn des 14-15 octobre 2016.

La Cisticole a niché à 4 reprises en Suisse, dont 3 aux Grangettes VD 370 m en 1975 (1) et en 2001 (2) ainsi que dans la plaine de Magadino TI 200 m en 1975, peut-être déjà en 1972. Des mâles non appariés ont construit des nids en 1982 à Yverdon VD ainsi qu'en 2001 à Ardon VS et Port-Valais VS. Des chanteurs isolés ont également été signalés entre fin avril et mi-octobre sur le Plateau à Laconnex GE, à Gland VD, à Chavornay VD, au Boniswiler Ried AG, à Aristau AG, à Merenschwand AG, à la Maschwander Allmend ZG, à Baar ZG, au Lauerzersee SZ, à Freienbach SZ, au Nuolener Ried SZ, à la Schmerikoner Allmend SG et au Kaltbrunner Riet SG ainsi qu'à l'intérieur des Alpes en Valais à Loèche, Agarn, Ardon, Martigny, Vionnaz, puis au delta de la Reuss UR et aux Bolle di Magadino TI. La plupart de ces sites se trouvent entre 200 et 490 m d'altitude, le plus élevé se situant à 620 m à Loèche/ Agarn. Les observations au nord des Alpes se trouvent surtout dans les régions soumises à l'influence du foehn, ce qui suggère une provenance italienne pour les données de la moitié orientale de la Suisse, les oiseaux du Tessin étant évidemment liés à la population piémontaise et lombarde, alors que ceux du bassin lémanique ont vraisemblablement une origine rhodanienne.

Dans les régions limitrophes, la Cisticole a été observée 7 fois entre 1971 et 2000 au delta du Rhin, avec une nidification probable entre le 15 août et le 15 septembre 1995, les 16-17 août 2002 à Dornbirn A, le 12 juillet 1979 au Ruggeller Riet FL, jusqu'en 1999 trois fois sur la rive allemande du lac de Constance, le 12 juin 1973 à l'embouchure de la Dranse F, le 5 juin 1976 sur l'Arve F entre Veyrier GE et Etrembières F, le 6 août 1977 et du 25 juin au 2 juillet 1994 au lac des Rousses F 1'060 m, ainsi que les 19-20 et 25 juin 2001 à Margencel F et Anthy-sur-Léman F.

La Cisticole des joncs a été observée chez nous presque exclusivement entre le 25 mai et le 28 octobre (la plupart de fin juin à fin septembre), à l'exception d'un chanteur le 28 avril 1976 à Gland VD et d'une famille observée jusqu'au 9 décembre 2001 aux Grangettes VD, disparue après l'arrivée d'une vague de froid le 13 décembre 2001. Un de ces oiseaux a probablement été observé le 19 janvier 2002 aux Grangettes VD, bien qu'aucune observation n'ait été effectuée entre le 9 décembre 2001 et le 19 janvier 2002, malgré d'intenses recherches. Les oiseaux parviennent en Suisse par immigration, probablement après une 1re reproduction plus au sud.

Dès le début du XXe siècle, cette espèce d'origine méditerranéenne a entamé une colonisation mouvementée de la France, par le littoral atlantique d'une part (C. j. cisticola) et la vallée du Rhône (C. j. juncidis) d'autre part: la première vague expansive a eu lieu en 1912/13 à partir du littoral méditerranéen. Lors d'une deuxième vague d'expansion débutée en 1931, la Cisticole a atteint la Vendée en 1935 et la Dombes en 1937; mais encore plus que chez la Bouscarle, la sédentarité de la Cisticole la rend très sensible aux hivers rigoureux, ceux de 1939/40, 1940/41, 1955/56 et 1962/63 ayant réduit son avancée à néant. Dès la fin des années 60, la Cisticole a entamé une nouvelle phase d'expansion qui lui a permis d'atteindre le Pas-de-Calais et les Pays-Bas en 1972 et la Belgique en 1975, alors que des oiseaux étaient signalés jusqu'en Irlande, en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Autriche et en Bulgarie. Vers l'optimum en 1974/75, l'espèce avait colonisé tout le littoral français ainsi que de nombreux marais continentaux dans l'ouest (des Pays de la Loire à l'Aquitaine) et le sud (Languedoc, vallée du Rhône), atteignant même la Champagne, la Haute-Savoie (delta de la Dranse, nidification à Taninges en 1974), le département du Doubs (Bassin du Drugeon, 850 m) et le sud de l'Alsace. A la fin des années 70 et au début des années 80, cette répartition correspondait approximativement aux régions où la température moyenne de janvier est supérieure à 3.5° C. Les hivers de 1984/85, 1985/86 et surtout 1986/87 ont à nouveau décimé la population française; à chaque fois, il lui a fallu 3-7 ans pour reconquérir ses territoires. L'espèce s'est également étendue vers le nord de l'Italie à partir de la plaine du Pô, où la nidification a été prouvée pour la première fois dans le nord de la Lombardie le 20 juillet 1969 au bord du Tessin à Cassolnovo au nord de Vigevano.

En Suisse, la Cisticole a été observée pour la première fois le 14 juillet 1972 et jusqu'à mi-octobre dans la plaine de Magadino TI, où elle a probablement déjà niché cette année-là1, après avoir été signalée du 10 au 29 août 1971 au delta du Rhin A. Après l'observation d'un chanteur du 10 au 19 juillet 1974 à la Maschwander Allmend ZG, la nidification fut certifiée en 1975, après un hiver exceptionnellement doux, simultanément aux Grangettes VD et dans la plaine de Magadino TI. Des oiseaux étaient cantonnés en 6 autres sites du Plateau en 1975, puis l'espèce s'est montrée en 7 localités en 1976 (dont 6 sur le Plateau et la première en Valais central à Agarn), 2 en 1977 et seulement une en 1978 et 1979. De 1980 à 2000, on connaît 13 données de 15 individus en 7 années; il y eut 3 observations en 1982, lorsqu'un nid fut construit à Yverdon VD par un mâle non apparié. En 1995 il y eut également 3 données, dont 3 chanteurs séjournant brièvement dans la plaine de la Reuss AG/ZG. En 2001, un nouvel afflux s'est produit, avec des observations de chanteurs isolés ou de couples en 5 localités du bassin rhodanien entre les bords du Léman et le Valais central, surtout en juin/juillet, aboutissant à 2 nidifications réussies par le même couple dans la réserve du Gros Brasset aux Grangettes ; deux autres nids ont été construits cette année-là à Port-Valais VS et à Ardon VS. Un oiseau a également été observé du 6 au 8 septembre à Auried/ Kleinbösingen FR. Des chanteurs isolés se sont montrés du 22 août au 1er septembre 2002 au Kaltbrunner Riet SG et le 8 août 2004 à Laconnex GE.

La Cisticole habite les pâturages, prairies de fauche et marais couverts d'une haute et dense végétation de graminées, roseaux communs Phragmites australis, joncs Juncus sp. et laiches Carex sp., le plus souvent sur sol humide mais également dans des endroits secs. Ses biotopes les plus caractéristiques sont les bordures de marais, prairies inondables, pâturages, friches, talus bordant les fossés, rizières et champs de blés. Le microclimat hivernal est déterminant pour cette espèce essentiellement sédentaire, dépendante d'une nourriture en grande partie animale et très affectée par les longues périodes de gel: ses populations ne peuvent généralement pas survivre dans les régions qui comptent plus de 15 jours de gel par hiver en moyenne. Diurne et solitaire pendant la période de reproduction, elle se nourrit principalement d'insectes (papillons, orthoptères, libellules, neuroptères, diptères) et d'araignées prélevés dans la végétation herbacée, rarement de graines en hiver; aux Grangettes VD en 2001, les jeunes étaient nourris surtout avec des épeires Araneus sp. et des criquets. La Cisticole se nourrit essentiellement près du sol, se faufilant avec agilité entre les tiges ou en les escaladant. Le mâle délimite son territoire en chantant en l'air à 15-30 m de hauteur au cours d'un vol ondulé en effectuant de larges circuits ou depuis le sommet d'une tige élevée, un buisson ou un fil, poussant un « TSIP ! » cinglant à chaque montée, à intervalles réguliers d'environ 1 s ; le cri d'alarme est un «vet-vet-vet» doux se muant parfois en crécelle. Très facile à repérer lorsqu'elle chante, la Cisticole des joncs devient plutôt silencieuse hors de la période de nidification; elle est alors d'une discrétion extrême.

Le mâle construit un nid très particulier en forme de bourse avec une petite ouverture au sommet, fixé dans la végétation herbacée à 30-75 cm au-dessus du sol; le nid est cousu, avec de fines lanières végétales et des fils d'araignées, aux grandes herbes environnantes qui forment la paroi externe du nid. L'intérieur est garni de duvets végétaux, de crins, de laine et de toiles d'araignées. Les 4-6 (3-7) oeufs sont pondus vers mi-avril dans le sud de la France, mais les dates de ponte helvétiques se situent entre mi-juin et la première décade d'août et concernent donc probablement des 2e et 3e couvées: en 1975 aux Grangettes VD, où la présence de l'espèce a été détectée le 8 juin, une famille de 4 jeunes s'est envolée le 10 juillet ; en 2001 au même endroit, une 1re nichée de 4 jeunes nourrie par le couple s'est envolée vers le 10 août, puis une deuxième, de 4 jeunes également mais nourrie exclusivement par la femelle (le mâle semble avoir disparu au moment de l'éclosion), s'est envolée vers le 31 août. Dans la plaine de Magadino TI, une nichée d'au moins 3 jeunes fraîchement envolés étaient nourris par les 2 adultes les 22 et 26 août 1975. L'incubation, par la femelle, débute avec la ponte du dernier oeuf ou plus tôt; la durée d'incubation est de 12-13 jours. Les jeunes quittent le nid à l'âge de 12-13 (11-15) jours; ils deviennent indépendants au bout de 7-20 jours. Les trois nidifications des Grangettes ont eu lieu dans la prairie marécageuse du Gros Brasset, avec deux femelles et au maximum 5-7 (!) mâles chanteurs en 1975 et un couple en 2001 ; le nombre de chanteurs est toutefois difficile à évaluer, étant donné leurs trajectoires aléatoires et leur polygamie. Les jeunes mâles peuvent chanter déjà pendant leur 1er automne, mais sans la qualité cinglante de l'adulte. La colonisation rapide de nouveaux sites favorables est rendue possible grâce à une maturité sexuelle extrêmement précoce, atteinte déjà dans l'année de naissance; la dispersion des jeunes et probablement des femelles est initiée par les moissons dans la région méditerranéenne ainsi que par la sécheresse estivale.

Cette espèce ne paraît actuellement pas menacée; le réchauffement climatique actuel, notamment en hiver, pourrait favoriser son expansion vers le nord à l'avenir. Les fluctuations d'effectifs sont dues avant tout aux hivers froids et à la destruction des habitats.



pub

Almanach des migrations

A propos de Lionel Maumary