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La chronique
de Lionel Maumary

Almanach des migrations

Un Puffin des Anglais à Yverdon !

Lionel Maumary, Oiseaux.ch, 08.10.2018

Dans le sillage de la tempête Bronagh qui a concerné les îles britanniques puis la Norvège en fin de semaine passée, une autre dépression atlantique, dénommée Fabienne, a concerné la moitié nord de la France et la Suisse le 23 septembre. Issue en partie des résidus de l'ex-ouragan Florence repris dans la circulation atmosphérique de l'Atlantique nord, elle a été à l'origine de phénomènes météorologiques parfois violents, essentiellement au passage de son front froid (violentes rafales de vent, fortes intensités de pluie et localement orages) (actualités Météo-France). Le matin du 24 septembre, alors que le vent du nord soufflait encore très fort, Michel et Jean-Claude Muriset ont eu l'incroyable surprise de voir un Puffin des Anglais sur le lac de Neuchâtel à Yverdon ! L'observation a été très brève mais ils ont eu le temps de prendre ce cliché historique. L'oiseau a été observé posé proche de la rive, mais il s'est rapidement fait chasser par un Goéland leucophée et n'a plus été retrouvé, malgré d'intenses recherches pendant l'après-midi et le jour suivant. Il s'agit de la 9e donnée helvétique depuis 1900, la 10e depuis le XIXe siècle. L'espèce n'avait plus été observée dans notre pays depuis 28 ans. Le site de nidification le plus proche se trouve à 750 km sur l'archipel des Sept-Iles, d'Ouessant-Molène et d'Houat (Bretagne F).


illustration

Puffin des Anglais, Yverdon VD, 24 septembre 2018, Jean-Claude Muriset

Les trois-quarts de la population nichent sur les îles Britanniques (220'000-250'000 couples). L'espèce se reproduit également sur les îles de la Manche, en Bretagne F, aux Féroé, en Islande, à Madère, aux Açores, aux îles Canaries, à Terre-Neuve (Canada) et irrégulièrement dans le Massachusetts (USA). Hors de la saison de reproduction, l'espèce se disperse dans tout l'Atlantique, principalement au sud de l'équateur jusqu'en Amérique du Sud et en Afrique du Sud. Cette espèce hautement pélagique ne s'égare qu'exceptionnellement (il s'agit alors surtout d'immatures) à l'intérieur du continent lors de tempêtes au-dessus de l'Atlantique.

En Suisse, l'espèce est apparue à 9 reprises au nord des Alpes depuis 1900; il existe en outre une observation sur la rive allemande du lac de Constance. Les observations de 1965 sont remarquables, l'oiseau repéré à Yverdon VD tôt le matin et celui vu à Neuchâtel en début d'après-midi étant vraisemblablement le même individu. Ce sont les seules observations in natura dans notre pays. Fait remarquable, les années 1908 et 1925 ont chacune livré 2 individus à quelques jours d'intervalle.

Les 9 données suisses depuis 1900 sont de septembre, moment où les jeunes inexpérimentés quittent les colonies pour gagner les côtes de l'Amérique du Sud notamment. Le retour sur les sites de nidification a lieu entre février et début avril, les immatures n'arrivant qu'en mai. Les performances migratoires de cette espèce sont remarquables : un adulte nicheur déplacé en Amérique du Nord depuis le Pays de Galles (5'150 km) a regagné son nid en 12.5 jours, et un jeune né au Pays de Galles a rejoint la côte du Brésil en moins de 13 jours, à une vitesse moyenne de 740 km/jour !

Hautement pélagique et grégaire, le Puffin des Anglais se nourrit principalement de petits poissons, céphalopodes, crustacés et déchets pêchés en plongeant à faible profondeur ou glanés à la surface de l'eau, de nuit comme de jour. Il ne s'approche de la terre ferme que pendant la période de reproduction et ne rejoint sa colonie qu'après la tombée de la nuit. Les nids se trouvent sur les côtes rocheuses, dans les falaises et en montagne à l'intérieur des terres. Comme tous les procellariiformes, le Puffin des Anglais est vulnérable à la prédation humaine et souffre notamment de l'introduction de rats Rattus sp. et d'animaux domestiques sur les îles où il niche. La concentration des nicheurs en quelques grosses colonies rend l'espèce particulièrement vulnérable. Toutes les colonies devraient être classées en réserves naturelles intégrales et débarrassées de leurs prédateurs introduits.



Données suisses depuis 1900 (9/9):

[1] 17 septembre 1908: Moosegg/Langnau im Emmental BE, 1 ind. recueilli, conservé au Naturhistorisches Museum de Berne ;

[2] 4 septembre 1925: lac Léman près de Genève, 1 mâle ad. tiré, conservé au Musée des Beaux-Arts d'Arras F (J.-L. Martinet)ACH ;

[3] début septembre 1925: Staad/Rorschach SG, 1 mâle recueilli, conservé au Naturmuseum du canton de Thurgovie à Frauenfeld (A. Schläfli) ;

[4] 4 septembre 1953: Villars-sur-Fontenais JU, 1 mâle 1 a.c. trouvé épuisé, mort le 18 septembre, conservé au Naturhistorisches Museum de Bâle;

[5] 5 septembre 1965: Yverdon VD, 1 ind. observé de 6h30 à 7h15 et à Neuchâtel peu avant 13h00 ;

[6] 9 septembre 1983: Walchwil ZG, 1 mâle 1 a. c. trouvé épuisé, mort le 21 septembre, conservé au Naturhistorisches Museum de Bâle ;

[7] 25 septembre 1990: Fahy JU, 1 mâle 1 a. c. trouvé épuisé, mort le 28 septembre4, bagué comme jeune à l'envol le 14 septembre 1990 sur l'île de Copeland (Irlande du Nord), conservé au Musée jurassien des sciences naturelles de Porrentruy.

[8] 26 septembre 2012: Thalheim AG, 1 ind. trouvé mort, une partie du plumage est conservée dans la collection T. Masafret, Wädenswil ZH, phot. (G. Dusej, T. Masafret).

[9] 24 septembre 2018: Yverdon VD, 1 ind. photographié posé et en vol (M. & J.-C. Muriset).

Données suisses avant 1900 :
fin juillet 1866: lac Léman près de Genève, 1 ind. tiré, conservé au Muséum d'histoire naturelle de Genève (L. Vallotton).

Données limitrophes du lac de Constance (1/1):
[1] 16 septembre 1908: Constance D, 1 ind. capturé, conservé au Naturmuseum de St-Gall (J. Barandun).



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