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La chronique
de Lionel Maumary

Almanach des migrations

Le Fuligule nyroca a niché à Lausanne

Lionel Maumary, Oiseaux.ch, 09.07.2021

Le 4 juin 2021, 9 Fuligules nyrocas ont éclos au lac de Sauvabelin à Lausanne. Il s'agit seulement de la 2e nidification en Suisse romande, après celle de 2014 à Chavornay VD, et de la 7e pour la Suisse. Depuis le 20 avril 2021, Baptiste Maglioco a observé un couple de Fuligules nyrocas au lac de Sauvabelin. Dès le 1er mai, la femelle a virtuellement disparu. J'ai pu attester la nidification le 4 mai : le mâle était présent mais la femelle est restée invisible pendant plus de 3 heures, après quoi elle a fait une courte apparition. Elle plongeait frénétiquement pour se nourrir, avant de disparaître derrière un massif d'iris sur l'îlot central, où elle avait manifestement rejoint un site de nidification. Les 9 poussins ont éclos le 4 juin, soit 31 jours plus tard. Il est probable que la ponte a duré du 1er au 9 juin et que l'incubation a commencé autour du 8 mai, soit 27 jours plus tôt. Au moins 5 poussins ont survécu en date du 26 juin, mais il n'en restait plus que 2 le 8 juillet. Il s'agit de la nidification la plus précoce connue en Suisse. Aucun des deux partenaires du couple n'était bagué, ce qui a pu être vérifié lorsqu'ils sont sortis de l'eau. Ces oiseaux sont donc sans doute d'origine sauvage. Il n'est pas impossible que ce couple ait déjà niché à cet endroit l'année précédente, car Luca Campanile y avait photographié une femelle le 19 mars 2020. Cet évènement exceptionnel fait suite à la renaturation de cet étang artificiel de 2016 à 2017 par la Ville de Lausanne, une végétation palustre (massettes, roseaux, joncs des tonneliers et iris notamment) s'y étant développée depuis, notamment autour de l'îlot central désormais inaccessible au public. De nombreuses familles d'oiseaux d'eau y ont vu le jour depuis, surtout des Foulques macroules et des Canards colverts, mais aussi de Grèbes castagneux, de Poules d'eau et de Harles bièvres.


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Famille de Fuligules nyrocas le jour de l'éclosion, Lac de Sauvabelin, Lausanne VD, 4 juin 2021. L. Maumary.

Le plus méridional des fuligules européens, le Nyroca niche principalement dans l'est et le sud-est de l'Europe, du bassin du Danube à la mer Caspienne, ainsi qu'en Asie centrale. Avec environ 8'000 couples, la Roumanie héberge plus de 55% de la population européenne, surtout concentrée dans le delta du Danube (Roumanie), le reste se trouvant principalement en Ukraine, Croatie et Hongrie.
Il est plus rare et dispersé en Autriche, Pologne, Bulgarie, Albanie et en Grèce. Les effectifs s'étiolent plus à l'ouest, où les nidifications ne sont que sporadiques. Les principales zones d'hivernage se trouvent en Afrique subsaharienne (haut Niger, lac Tchad, Soudan), autour de la Méditerranée et de la mer Noire, au sud de la Caspienne, en Mésopotamie (Iraq) et dans le nord de l'Inde. La population hivernante d'Europe de l'Est et de Méditerranée orientale est actuellement d'environ 40'000-65'000 individus.

En Suisse, c'est un migrateur et hivernant rare sur les lacs du Plateau, le plus souvent mêlé aux troupes de Milouins et Morillons. C'est sur le Haut-Rhin, le lac Inférieur, le Mindelsee D, au delta du Rhin A, dans la baie de Lucerne, sur les lacs de Zurich, de Neuchâtel (Chablais de Cudrefin VD/Fanel BE/NE) et Léman (Les Grangettes VD, Morges VD, rade de Genève) qu'il est le plus souvent observé. Il est irrégulier dans le Jura (4 données au lac de Joux VD 1'005 m et une du lac Brenet VD 1'000 m), à l'intérieur des Alpes (lacs de Haute-Engadine GR vers 1'800 m, Valais) et au Tessin (Bolle di Magadino). Il n'existe que trois preuves de reproduction en Suisse et trois autres sur les rives allemandes du lac de Constance. Une partie des observations de Nyrocas se rapporte probablement à des oiseaux échappés de captivité, l'espèce étant fort appréciée des collectionneurs. La provenance des nicheurs n'est pas claire, des lâchers ayant été effectués à plusieurs reprises, notamment en Italie.

Les premiers oiseaux de l'automne arrivent dès mi-août et en septembre, le passage devenant plus sensible en octobre pour culminer en novembre et décembre avec l'arrivée des hivernants. Depuis 1993, des Nyrocas en mue sont observés en été sur le Mindelsee près de Radolfzell D, où l'on compte 20-30 oiseaux d'août à mi-octobre, nettement plus aussi depuis 2002. Le départ des hivernants commence vers mi-février, la migration de printemps se déroulant principalement en mars, avec des retardataires en avril et en mai. Des couples peuvent alors apparaître sur des étangs propices à la nidification, mais généralement sans suite. Depuis 1988, des estivants isolés sont observés chaque année entre juin et août, principalement sur le lac Inférieur et le lac de Neuchâtel.

En Suisse (rives limitrophes comprises), les effectifs hivernaux du Fuligule nyroca sont restés relativement stables mais à un niveau moyen très faible de 18 (5-36) entre 1967 et 2003; ils ont légèrement augmenté dans les années 70. Bien qu'il s'associe volontiers au Fuligule milouin, le Nyroca n'a pas profité comme ce dernier de l'apparition de la Moule zébrée Dreissena polymorpha
dans les lacs suisses, car il se nourrit essentiellement de végétaux et de petits invertébrés. Le Fuligule nyroca n'a niché que six fois en Suisse, le premières fois en 1991 et 1992 à l'Ägelsee TG près de Frauenfeld TG et en 1999 aux Bolle di Magadino TI. Un couple de Nyrocas (avec une femelle construisant un nid) a été observé le 23 mai 1994 sur le lac de Muzzano TI. Un couple a élevé 5 jeunes en 2014 au Creux de Terre à Chavornay VD. Trois autres nidifications ont eu lieu au lac de Constance: en 1979 au Wollmatinger Ried D, en 1995 sur la presqu'île de Mettnau D et 2003 au Bündtlisried sur le Bodanrück D.

En hiver, le Fuligule nyroca s'accommode aussi bien des eaux urbaines que des rivages naturels bordés de roseaux communs Phragmites australis. Diurne et nocturne, il se nourrit essentiellement de végétaux aquatiques et de petits invertébrés dans les eaux peu profondes des lacs et des étangs, en plongeant ou en barbotant. Bien que de grands rassemblements de Fuligules nyrocas se produisent dans les quartiers d'hiver principaux, ces canards se rencontrent chez nous le plus souvent isolés ou par deux (94% des données, 1985-2003), généralement mêlés aux groupes de Fuligules milouins. Les sites de reproduction en Europe centrale sont des étangs (piscicultures extensives notamment) ou de petits lacs aux eaux eutrophes et relativement chaudes, possédant une dense végétation subaquatique et émergée. Les 7-11 (5-14) oeufs sont généralement pondus entre mi-mai et mi-juin et sont incubés pendant 25-27 jours; les poussins sont capables de voler à 55-60 jours. A l'Ägelsee TG, une famille avec 2 poussins a été découverte le 15 juin 1991 et la même femelle avec 7 poussins le 14 juin 1992. Aux Bolle di Magadino TI, une famille avec 5 poussins s'est montrée une première fois le 18 juillet 1999. La famille la plus tardive a été observée en 1995 sur la presqu'île de Mettnau D, où une femelle conduisait 5 poussins dont trois de Morillon le 15 août.

A la fin du XIXe siècle, le Nyroca était un des canards les plus communs dans le bassin des Carpathes et il était bien plus répandu en Europe centrale qu'aujourd'hui. En Europe, les effectifs ont beaucoup régressé au cours du XXe siècle, surtout dès les années 60, principalement à cause de l'assèchement de nombreux plans d'eau favorables à la nidification et de la chasse ; considérée globalement, l'espèce est aujourd'hui potentiellement menacée. Avec un effectif hivernal
moyen de 18 individus (1967-2003), les lacs suisses n'ont pas une importance au niveau international mais, à titre de comparaison, l'effectif moyen de janvier pour toute la France est de seulement 19 oiseaux. Les dérangements dus aux loisirs devraient absolument être évités chez nous dans les sites les plus importants. L'hybridation est de plus en plus fréquente avec les fuligules les plus communs, le Milouin notamment, voire la Nette rousse. De tels hybrides apparaissent surtout dans les sites de nidification où les effectifs du Nyroca sont faibles.



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