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La chronique
de Lionel Maumary

Almanach des migrations

Un nouveau couple de Gypaètes barbus reproducteurs en Haut-Valais!

Lionel maumary, Oiseaux.ch, 20.02.2013


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Depuis le 10 février 2013 au moins, des accouplements répétés d'un couple de Gypaètes ont été observés au col de la Gemmi/Loèche-les-Bains. Jusqu'à présent, seuls quatre couples reproducteurs étaient connus en Suisse, dont un en Valais à Derborenc et trois dans les Grisons. Le couple de Derborence s'est reproduit avec succès en 2007, 2011 et 2012. Espérons que cette nouvelle tentative sera aussi couronnée de succès !

L'aire de répartition de la sous-espèce nominale couvre les massifs montagneux du sud de l’Eurasie et d’Afrique, de l'Espagne et du Maghreb jusqu'au centre et au nord-est de la Chine. Une autre sous-espèce habite l'Afrique orientale et du sud, ainsi que le sud-ouest de l'Arabie. L’aire européenne actuelle de ce vautour n’est qu’une relique de ce qu’elle fut jadis, les vestiges de la population originelle ne se trouvant plus que dans le Caucase, les Carpates méridionales, les Balkans, en Crète, en Corse et dans les Pyrénées. Les bastions actuels du Gypaète se trouvent en Turquie, qui abrite plus de la moitié de la population européenne (100-500 couples), ainsi qu’en Asie centrale.

En Suisse, le Gypaète barbu nichait encore localement dans les Alpes au XIXe siècle, d'où il a été exterminé vers 1900. Les informations quant à sa distribution ancienne sont très fragmentaires, mais indiquent que l’espèce était principalement confinée aux vallées ensoleillées du Valais et des Grisons. Une vingtaine de sites de reproduction étaient connus, principalement dans les Alpes orientales, dont guère plus de 5 étaient encore occupées en 1850. Les dernières aires connues se trouvaient dans les Grisons au Piz Mundin sur Pfunds/Samnaun (juvénile capturé pendant l’hiver 1870/1871 et à Vrin/Lumnez (encore occupée en 1884-86), ainsi qu’en Valais à Waldis-Klamm/Hohgleifen (mâle tiré en 1862, femelle empoisonnée en 1886 ou 1887). D’autres sites de reproduction étaient connus auparavant dans les Grisons au Sulzfluh sur St-Antönien, à Sils Maria, dans le val Chamuera, à Felsberg au Calanda, au Hausstock et à Malans. Bien que l’espèce ait régulièrement été observée dans les Alpes bernoises entre le Lütschinental, le lac de Brienz, Oberhasli et le Gadmental, avec la dernière observation en 1886 au Rosenlauital près de Saanen, aucune aire n’y était connue. La nidification était probable dans le canton de Lucerne au Rigi sur Vitznau, dans le canton d’Unterwald à Altzellen, ainsi que dans les cantons d’Uri et de Glaris au Ruchen, au Limmerntobel, au Wiggis, au Surenstock et au Mürtschenstock, avec le dernier oiseau tiré en 1858 au Gotthard. Dans le canton de St-Gall, des aires ont dû être occupées au-dessus d’Amden et à l’Alpe Palfris, dans celui d’Appenzell Rhodes-Intérieures au Hundstein au-dessus du Fälensee. Dans les Alpes vaudoises, où l’espèce ne se serait maintenue que pendant la première moitié du XIXe siècle, un individu a été tiré en 1842 au-dessus de Gryon, au pied du massif des Diablerets, et un dernier individu aurait été pourchassé sans succès au Grand-Muveran. Au Tessin, des oiseaux ont été abattus en décembre 1864 et mai 1869 dans le val Maggia. Les observations récentes, concernant des oiseaux réintroduits, montrent également une prédilection de l’espèce pour le Valais et l’Engadine GR.

Les derniers vestiges concrets de cette ancienne population sont deux spécimens adultes datant respectivement de 1849 et 1858, provenant de Malans GR, conservés au Musée de Winterthur, et trois autres spécimens du Muséum d’histoire naturelle de Genève : une femelle adulte tuée le 29 février dans les Grisons, un mâle adulte tué au printemps 1854 à Obergesteln VS et un mâle adulte tué pendant l’hiver 1861-62 ou 1862-63 à Martigny VS. Quatre œufs provenant des Alpes suisses sont conservés aux musées de Berne (1), de Neuchâtel (1) et de Genève (2).

Entre 1800 et 1887, 85 données sont connues en Suisse, essentiellement d'oiseaux tirés. L’une des dernières victimes de cette population originelle, aujourd’hui conservée au Musée zoologique de Lausanne, était une femelle surnommée « ‘s alt wyb » (la vieille), retrouvée morte à côté d’un cadavre de renard empoisonné près de Viège VS à fin février 1886 ou 1887 selon les auteurs. Elle avait hanté en solitaire le Lötschental depuis la mort de son mâle, tué en 1862 par le roi de Bavière. En 1891, la capture en Valais de deux adultes et d’un jeune pris à l’aire, conservés au Musée de Sion, constitue la dernière preuve de nidification en Suisse, 5 ans après la dernière reproduction dans les Grisons. Quelques individus isolés ont encore été observés ou tirés jusqu’à la fin du XIXe siècle dans les cantons de Berne, du Valais et des Grisons. Un individu a été observé près de Finhaut le 13 octobre1898 et un fut tiré le 10 décembre de la même année en Valais, puis un oiseau fut encore abattu en 1899 à Varneralp/Salquenen et le dernier le 3 décembre 1900 au Mont Chemin/Martigny. L’espèce n’a plus été observée dans notre pays pendant la première moitié du XXe siècle, mais entre 1950 et 1973, le Gypaète est réapparu à quatre reprises: un immature le 19 avril 1957 à Loèche VS; un adulte le 26 juillet 1957 à Braunwald, 2 adultes le 22 mai 1964 à Grütschalp, Mürren et 2 individus en automne 1965 à Zweilütschinen. Ces oiseaux étaient probablement originaires des Balkans, ou éventuellement des Alpes occidentales, très peu prospectées par les ornithologues et où des survivants auraient pu passer inaperçus. C’est en effet dans la zone frontalière entre l’Italie et la France, entre l’Alpi Graie et les Alpes Maritimes, que la population alpine a survécu le plus longtemps. En 1909 et 1913, deux Gypaètes y furent abattus, dont un au val d'Aoste, où des observations ont encore eu lieu par la suite : deux oiseaux ont été vus dans le Gran Paradiso pendant l’automne et l’hiver 1924/1925, et des isolés y ont encore été signalés en 1930 et 1950. Toutes les données postérieures à 1974 concernent des oiseaux réintroduits.

Le Gypaète est généralement sédentaire, mais peut effectuer des déplacements de plusieurs dizaines, voire centaines de kilomètres lors de ses prospections, son territoire pouvant compter plusieurs milliers de km2. Les immatures sont les plus mobiles, alors qu’une tendance à la sédentarisation se dessine avec l’âge, les adultes devenant même plutôt casaniers. Ainsi la plupart des oiseaux observés en Valais sont des immatures provenant du site de réintroduction de Haute-Savoie, distant de 30 kilomètres de la frontière, mais des oiseaux provenant du Parc national suisse y ont également été observés, ce qui représente un déplacement de plus de 200 kilomètres. Le plus long déplacement connu à l’intérieur de l’arc alpin est celui d’un oiseau surnommé « Nina », né au zoo de la Garenne, relâché en 1987 en Autriche et tiré le 1er août 1993 dans le Parc national des Ecrins (Alpes françaises), à 600 km au sud-ouest. En 1995, des vents violents déportèrent deux Gypaètes (République VIII et République IX) de la Suisse jusqu’au littoral de la Mer du Nord aux Pays-Bas, à 600 km au nord, où ils furent recueillis en train de se noyer sur la plage, puis rapatriés.
La variation saisonnière du nombre d’observations en Valais montre un pic entre janvier et mars et un autre en septembre : le premier trahit une fréquentation accrue du Valais par les Gypaètes pendant l’hiver, où ils sont attirés par la sécheresse du climat, alors que le second résulte clairement du regain d’activité automnale des ornithologues au col de Bretolet. La distribution saisonnière des observations valaisannes reflète une nette tendance des oiseaux à visiter les versants ensoleillés, parfois à très basse altitude, au cours des premiers mois de l’année, qui sont aussi ceux où l’enneigement est maximal.

En 1974, un premier essai de réintroduction dans les Alpes fut tenté en Haute-Savoie avec 4 oiseaux sauvages prélevés en Afghanistan, mais il avorta. Un essai comparable eut lieu en Valais mais il se solda par la mort des 2 oiseaux afghans. Dès 1986, un programme international de réintroduction a été mis sur pied, consistant à relâcher de jeunes oiseaux nés en captivité, provenant d’une vingtaine de parcs zoologiques européens, dont celui de la Garenne (Le Vaud). Quatre sites de réintroduction ont été choisis : dès 1986 dans la région de Rauris (Hohe Tauern, Autriche), dès 1987 dans le massif du Bargy (Haute Savoie, France), dès 1991 au Parc National Suisse (Engadine) puis dès 1993 dans les parcs naturels contigus du Mercantour (Alpes maritimes, France) et d’Argentera (Piémont, Italie). Dans le massif du Bargy en Haute-Savoie F, la première formation de couple a eu lieu en 1989, la première construction de nid en 1991 et la première reproduction réussie en 1997, près du site de lâcher du col de la Colombière. Dès 1998, les oiseaux réintroduits dans le Parc national suisse se sont installés pour nicher dans le Parc naturel de Stelvio, sur le versant italien contigu au Parc national suisse. Entre 1986 et 1998, 80 Gypaètes ont été relâchés dans les Alpes. Au début du XXIe siècle, une vingtaine d’entre eux hantent les Alpes suisses, et la première nidification a abouti en 2007 à Derborence VS, où deux autres jeunes se sont envolés en 2011 et 2012.

Le Gypaète habite les régions montagneuses à forte déclivité, riches en ongulés sauvages ou à tradition pastorale. Il affectionne les versants ensoleillés, où les ascendances thermiques sont suffisantes pour pratiquer le vol à voile sans effort. Charognard par excellence, ce vautour a la particularité de se nourrir presque exclusivement d’os (85% du régime alimentaire), qu’il digère grâce à de puissants sucs gastriques. Lorsque les os sont trop grands pour être avalés entiers, il les lâche depuis une certaine hauteur afin de les briser. Strictement diurne, le Gypaète ne s’envole souvent qu’en fin de matinée, lorsque les ascendances thermiques sont suffisantes pour le porter. Très systématique dans sa recherche de nourriture, il explore son vaste territoire alpin selon un itinéraire assez fixe, apparaissant souvent au même endroit à la même heure, jour après jour. Il plane le plus souvent près des parois rocheuses et des arêtes, visitant chaque recoin de son territoire à la recherche de carcasses d’ongulés ou d’autres mammifères. Il se tient généralement entre 2'000 m et 3'000 m d’altitude pendant l’été, alors qu’il descend parfois jusqu’en plaine pendant l’hiver, surtout après les importantes chutes de neige. Lorsqu'il vole, le Gypaète est souvent très confiant vis-à-vis de l'homme, ce qui est surprenant pour un oiseau de si grande taille ; ce comportement familier pourrait être à l’origine des légendes qu’on lui attribuait.

Dans le massif du Bargy, lors de la première nidification de 1997, la ponte de l’œuf a eu lieu à mi-février et l’éclosion le 11 avril. Le jeune (surnommé « Phénix Alp Action ») a quitté le nid le 5 août, mais n’a véritablement pris son envol que le 7 août. Dès le 27 août, il a entrepris de longs déplacements en compagnie de ses parents et a disparu du site de reproduction dès fin octobre. Il a été revu plus tard dans une vallée distante d’une dizaine de kilomètres. Le même couple a niché en 1998 au même endroit : la ponte a eu lieu le 21 février, l’éclosion le 19 avril et l’envol du jeune le 13 août, soit à l’âge de 116 jours. L’aire du Gypaète est généralement placée dans une caverne ou sur une corniche dans une falaise. La maturité sexuelle n’est atteinte qu’à l’âge de 7 ans, et les couples inexpérimentés ne nichent parfois pas avant l’âge de 10-12 ans.

L'extinction du Gypaète barbu de nombreux pays pendant les XIXe et XXe siècles est la conséquence de la persécution directe de l'homme, basée sur la croyance erronée que ce rapace s'attaquait aux agneaux - on l'accusait même de s'attaquer aux bébés humains en précipitant les landaus dans les précipices! En 1859, von Tschudi écrivait : "Il s'attaque même aux hommes qui escaladent les rochers. Si la victime offre de la résistance, le gypaète l'étourdit par les coups répétés de ses énormes ailes". En 1891, le Grand Conseil valaisan votait un crédit spécial pour son extermination, ce qui a déclenché une véritable chasse au trophée dans tout le canton, avec pour résultat la capture de trois oiseaux. L’attitude de l’homme à l’égard du Gypaète a radicalement changé, puisque l’oiseau tant haï fait aujourd’hui l’objet de toutes les attentions. Imaginée dès le début du XXe siècle par A. Richard (1914), premier président de “Nos Oiseaux”, la réintroduction du Gypaète dans les Alpes ne s’est toutefois concrétisée qu’à partir des années septante. La mortalité juvénile, la maturité sexuelle tardive, le rythme de reproduction extrêmement lent et l’immensité du territoire d’un couple sont les principaux facteurs naturels limitant l’implantation et l’expansion de l’espèce dans nos montagnes, bien que les ongulés y soient suffisamment abondants pour y assurer son existence. Des 58 jeunes relâchés entre 1986 et 1994, 13 (22%) sont morts ou ont été remis en volière. Le naturel confiant du Gypaète l’expose aux coups de fusils des chasseurs, responsables de la mort d’au moins trois oiseaux entre 1986 et 1998. L’autopsie des oiseaux morts a révélé dans plusieurs cas la présence de plombs incrustés dans différentes parties de leur corps, ce qui prouve que ces oiseaux avaient survécu à plusieurs coups de fusil ! Les chasseurs constituent la cause de mortalité la plus importante parmi les cas identifiés. En 1997, le braconnage de la femelle surnommée « République V », lâchée en Haute-Savoie en 1993, a démontré que le sort de ces oiseaux dépendra notamment de l’évolution des mentalités au sein de la population, ce qui a notamment motivé le changement du nom allemand de « Lammergeier » en « Bartgeier ». D’autres dangers sont les câbles des lignes à haute tension et des remontées mécaniques, qui ont causé la mort d’au moins deux Gypaètes réintroduits.

Pour plus d'informations, voir le site du Réseau Gypaète de Suisse occidentale :
www.gypaete.ch




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