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La chronique
de Lionel Maumary

Almanach des migrations

Mystérieuse Bécassine sourde

Lionel maumary, Oiseaux.ch, 08.04.2013


illustration

Réussir à déjouer les ruses d’une Bécassine sourde est l’un des défis les plus gratifiants de l’ornithologue de terrain, car elle est alors si proche qu’on peut la voir respirer... Mais bien que sa présence puisse être trahie par ses fientes ou par les trous que son bec laisse dans la vase, elle reste le plus souvent invisible. un comportent unique qui rend sa quête exaltante: elle ne s'enfuit généralement qu’à moins d’un mètre de l’observateur, et il n’est pas rare qu’elle ne se lève qu’au moment de se faire piétiner! S'envolant sans cri, elle parcourt généralement quelques dizaines de mètres en ligne droite, sans s’élever dans le ciel, puis se repose et disparaît immédiatement dans la végétation. Si l’observateur cesse de la suivre, elle reprendra confiance après un certain temps, se redressant sur ses pattes et balançant sans cesse son corps de manière caractéristique. En vol, la Bécassine sourde se distingue des autres bécassines par sa petite taille, sa queue pointue sans bords blancs et son bec plus court de moitié que celui de la Bécassine des marais. Posée, ses caractères diagnostiques sont le bec bicolore, le double sourcil et les larges bandes jaunes alternant avec le sombre aux reflets verts à pourpres, suivant l’éclairage, du manteau.

Observer le mouvement de machine à coudre avec fléchissement des pattes de la Bécassine sourde sur ce film:


La Bécassine sourde niche dans les marécages boisés de la taïga, de la Scandinavie à la Sibérie orientale. Avec environ 12'000 couples, la Finlande héberge 70 % de la population européenne. L’espèce hiverne de la Grande Bretagne à l'Afrique tropicale et à l'Asie du Sud-Est. En Suisse, des migrateurs sont régulièrement observés dans la Grande Cariçaie, sur la rive sud du lac de Neuchâtel. D’autres sites plus restreints accueillent régulièrement des oiseaux de passage et des hivernants: le marais de Sionnet GE, la zone industrielle de Villeneuve VD, celle d’Aclens/Vufflens-la-Ville VD, la tourbière des rigoles de Vionnaz VS dans la basse plaine du Rhône, le Verney à Martigny VS, les marais de Damphreux JU ou le Thuner Allmend de Thun BE.

La Bécassine sourde s’observe chez nous principalement de mi-septembre à fin avril: en migration postnuptiale, le transit culmine de mi-octobre à fin novembre, quelques individus s’attardant jusqu’en décembre et disparaissant généralement avec le gel. Seuls six hivernages complets sont connus dans les années nonante. La migration de printemps culmine entre mi-mars et mi-avril, quelques retardataires étant encore observés dans la première décade de mai. La Bécassine sourde est le plus souvent solitaire, mais de petits groupes comptant jusqu’à cinq individus peuvent occasionnellement être observés en migration. Un maximum de 15 individus a été observé le 17 octobre 1975 à Chavornay VD (D. Glayre). L’espèce a été capturée en automne aux cols de Bretolet sur Champéry VS 1’923 m et de Jaman sur Montreux VD 1’560 m.

En Europe, les effectifs de Bécassine sourde ont fortement régressé au XIXe et XXe siècle et la diminution des effectifs dans plusieurs zones d’hivernage importantes suggère que le déclin continue. Malgré d'importantes fluctuations annuelles sur les sites de reproduction, aucune évolution à long terme n'a pu être mise en évidence au niveau national, mais un recul sensible a été constaté sur les rives du lac de Constance : de 1961 à 1980, on recensait chaque année en moyenne 9 observations de 14 individus, contre seulement 4 données de 5 oiseaux pour la période de 1981 à 1995. Passant souvent inaperçue, la Bécassine sourde reste peu fréquente en Suisse, les milieux susceptibles de l’accueillir devenant de plus en plus rares.

En migration, la Bécassine sourde se pose dans les marais, sur les rivages, les vasières, au bord des étangs, des gravières, des canaux ou dans des tourbières, des champs, des terrains vagues ou d’exercice militaire plus ou moins inondés. Il s’agit le plus souvent de milieux très ouverts et recouverts d’une végétation herbacée, en terrain plus sec que la Bécassine des marais, mais suffisamment meuble pour accéder aux larves d'insectes et vers enfouis dont elle se nourrit. Elle s’arrête plus rarement en montagne, dans la lande à rhododendrons jusque vers 2000 m d’altitude, les plus hautes observations provenant de la combe de l’A VS 2083 m le 2 octobre 1994 et du Pas de Lona VS 2’700 m le 16 septembre 1997. En hiver, elle affectionne particulièrement les friches et prairies humides parsemées de petits saules, généralement près d’un plan d’eau non gelé en permanence, d’un canal ou d’une rivière où elle se replie pendant les jours de grand froid ou d’enneigement prolongé. Elle montre une prédilection pour les sites parsemés de touffes de joncs (notamment le Jonc articulé Juncus articulatus) et de roseaux, qui lui permettent un camouflage parfait. Très casanière, elle se cantonne dans une zone de quelques mètres carrés où on peut la retrouver jour après jour. La Bécassine sourde est généralement silencieuse à l’envol, proférant tout au plus un grognement énervé.

En zone agricole, les milieux humides non drainés et peu entretenus se raréfient continuellement. Les sites favorables se trouvant dans des zones classées industrielles disparaissent inexorablement avec les nouvelles constructions. Toutefois, le maintien de portions de terrain vague en périphérie des surfaces bâties offrirait des possibilités de repos pour la Bécassine sourde. Une gouille temporaire de quelques mètres carrés entourée d’une végétation herbacée peut suffire pour permettre son escale prolongées, voire son hivernage. Malheureusement, ces micro biotopes sont le plus souvent drainés, nivelés ou débroussaillés, n’offrant plus le couvert indispensable à la petite reine du camouflage. Les chiens non tenus en laisse provoquent également des dérangements constants dans certains sites d’hivernage, notamment à Sionnet GE.



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