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La chronique
de Lionel Maumary

Almanach des migrations

Un Etourneau roselin aux Grangettes

Lionel Maumary, Oiseaux.ch, 14.07.2009


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Le 11 juillet, un Etourneau roselin a été repéré parmi les nombreux Etourneaux sansonnets écumant les prairies de la Praille aux Grangettes. Il a pu être admiré par de nombreux observateurs les jours suivant, jusqu’au 14 juillet au moins. Cette espèce orientale est extrêmement rare en Suisse. Il s’agit de la première observation pour le Chablais vaudois et la 3e pour le canton de Vaud.

Cousin huppé du Sansonnet, l’Etourneau roselin le remplace dans les steppes et semi-déserts d’Asie centrale. L’union fait la force chez ce « sans domicile fixe », erratique et très grégaire tout au long de l’année, qui envahit périodiquement les Balkans à l’occasion des pullulations de criquets. Lors des années d’invasions, des essaims pouvant regrouper plusieurs milliers d’individus se forment spontanément autour de tas de pierres, d’où ils disparaissent à peine un mois plus tard, aussitôt la reproduction terminée. La Suisse n’est que marginalement touchée par ces afflux printaniers, notamment en Engadine. Les égarés se mêlent généralement aux troupes de Sansonnets.

L’Etourneau roselin niche du sud-est de l’Europe à travers les steppes et semi-déserts du sud de la Russie, de l’Asie centrale et de l’est de la Turquie au nord-ouest de la Mongolie et le nord du Sinkiang (Chine). Des extensions momentanées de l’aire de reproduction jusqu’à 1'200 km vers l’ouest pour atteindre les Balkans et la Hongrie, se produisent avec une périodicité de 8-10 ans. Avec 200-700 et 100-1'000 couples respectivement, l’Ukraine et la Roumanie se partagent deux tiers de la population européenne. Les quartiers d’hiver se situent à Oman, sur le subcontinent Indien et à Sri Lanka.

En Suisse, l’espèce est un migrateur irrégulier avec 19 données depuis 1900, dont 6 provenant des Grisons (dont 4 à plus de 1'400 m d’altitude). L’Etourneau roselin n’a été signalé qu’à 3 reprises en Suisse romande et 2 fois au Tessin. Il existe en outre 5 autres données dans les régions limitrophes du lac de Constance depuis 1900. Depuis 1900, à part l’observation d’un oiseau peu farouche (distance de fuite de 5-6 m) ayant séjourné 10 jours de fin avril à début mai 1971 à Hombrechtikon ZH, probablement échappé de captivité, les 12 données printanières helvétiques sont comprises entre le 25 mai et le 11 juin (dont 7 dans la première décade de juin). On connaît 2 données de juillet, concernant probablement des oiseaux en dispersion postnuptiale, et seulement 4 données d’automne entre le 4 septembre et le 5 novembre.

Les sites de nidification d’Asie centrale sont occupés de mi-avril/mi-mai à fin juin/début juillet. La migration postnuptiale des adultes dirigée vers le Pakistan et l’Inde est déjà terminée fin août/début septembre. Le gros des jeunes migrent nettement plus tard, et leur passage dans le nord du Pakistan dure jusqu’en novembre. Dans le nord de l’Europe, les derniers retardataires se montrent début octobre, sur les îles Britanniques jusqu’à début décembre, avec des données isolées en hiver. Au printemps, les migrateurs les plus précoces arrivent fin avril/début mai en Scandinavie et sur les îles Britanniques, mais lors de l’année d’invasion 1875, les avant-coureurs sont arrivés fin mars déjà dans le nord de la Slovaquie. Les afflux dans le sud-est et le centre de l’Europe ont le plus souvent lieu en mai et dans la première moitié de juin, plus rarement dans la seconde moitié d’avril.

Des invasions printanières, liées à des pullulations de criquets, atteignent certaines années l’Europe centrale et occidentale, mais touchent relativement peu la Suisse. Les Etourneaux roselins nichent parfois en Europe de l’Est à la suite de celles-ci : en 1925, environ 15'000 couples répartis en 6 colonies se sont reproduits en Hongrie. Le plus grand afflux ayant touché la Suisse a eu lieu en 1875, avec 15-20 individus le 5 juin à Lucerne, parmi lesquels 2 ont été tiré, puis un oiseau a été capturé début juin à Flawil SG; cette année-là, 6'000-7'000 couples ont niché à Villafranca di Verona (Vénétie I), dans le nord-est de l’Italie et des bandes de 40-60 individus ont également été observées dans la seconde moitié de mai à Mittersill (Salzburg A) ainsi que les plus grands groupes jamais observés en France près du Havre (Seine-Maritime) fin mai.

Plus récemment, d’énormes invasions ont touché en 1994-96 l’est et le sud-est de l’Europe 15, 19, 20, 21, 27 et en 2000-03 une grande partie de l’Europe, mais n’ont été que marginalement ressenties en Suisse. Depuis 1996, l’Etourneau roselin a niche chaque année en Roumanie et depuis 1999 en Bulgarie; en 2002, l’effectif dans ces deux pays était respectivement de 15'800 et 4'800 couples. Ces irruptions sont provoquées par l’accroissement de la population ainsi que par la pullulation des criquets : les campagnes d’éradication menées à partir de 1920 contre les centres de reproduction du Criquet migrateur Locusta migratoria dans les zones de captage des fleuves Kuma et Kuban (Russie) ont exterminé les criquets dans les steppes cis-caucasiennes, provoquant le déclin drastique de l’Etourneau roselin. L’espèce n’y apparaît plus aujourd’hui qu’à l’occasion des pullulations de Criquet italien Calliptamus italicus. L’aire de nidification européenne s’est sensiblement réduite suite à la disparition de nombreux milieux riches en criquets au cours des dernières 100-150 années.

L’Etourneau roselin vit en essaims pouvant rassembler des millions d’individus dans les steppes d’Asie centrale, où il niche dans des crevasses de rochers, éboulis, carrières, tas de pierres et cavités de bâtiments en colonies comptant des centaines, voire des milliers d’individus. Diurne et grégaire en toute saison, il se nourrit principalement d’insectes (orthoptères surtout) et d’autres invertébrés, en fin d’été et en automne aussi de graines, de baies et d’autres fruits (mûres Morus sp., raisins Vitis sp., cerises Prunus sp., mûres Rubus sp., cassis Ribes sp. etc.) ainsi que de nectar. Il recherche sa nourriture en trottinant dans l’herbe rase ou sur le sol nu ; il accompagne volontiers le bétail en train de pâturer. Dans les essaims de criquets, il vole au ras du sol et fait s’envoler les insectes par des coups d’aile et les capture au vol. Les fruits sont cueillis directement sur les arbres ou picorés une fois tombés à terre. Les oiseaux égarés en Europe centrale et occidentale se joignent le plus souvent à des troupes d’Etourneaux sansonnets. De petits groupes de 2-3 individus ont été observés à trois reprises en Suisse, au maximum 15-20 oiseaux lors de l’invasion de 1875. Les cris émis en vol sont des « ki-ki-ki » et un « churrr » semblables à ceux de l’Etourneau sansonnet.

L’espèce ne paraît actuellement pas menacée. L’utilisation massive de pesticides contre les criquets cause cependant une mortalité importante chez l’Etourneau roselin, comme en 1985/86 avec l’heptachlorane dans les steppes cis-caucasiennes. L’espèce souffre de la transformation de ses habitats, du surpâturage, de l’utilisation excessive de biocides, de la perte de sites de nidification ainsi que des dérangements sur les sites de reproduction. L’augmentation du nombre d’observations et de nidifications dans le sud-est de l’Europe et en Hongrie indique toutefois que l’Etourneau roselin y retrouve localement des ressources alimentaires adéquates.



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