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La chronique
de Lionel Maumary

Almanach des migrations

A nouveau des Bouvreuils « trompetants » en Suisse

Lionel Maumary, Oiseaux.ch, 05.03.2016

Comme lors des hivers 2004/05 et 2005/06, des Bouvreuils pivoines (Pyrrhula pyrrhula) font entendre leurs cris de trompette – ou de klaxon, bien distincts de ceux émis par leurs congénères indigènes et trahissant leur origine nordique. Ces cris sont les mêmes que ceux qu'émettent en période de reproduction les oiseaux du nord de la Finlande et de la région Komi (Russie). Quoique moins nombreux que lors de la première invasion, ils sont notés dans tout le pays depuis fin octobre 2015. En automne 2004, la première invasion de ces Bouvreuils pivoines avait été constatée en Europe. Les premiers bouvreuils «trompetants» avaient alors été entendus au bord du lac de Constance le 30 octobre. Le nombre d'observations avait fortement augmenté fin novembre pour culminer en décembre, après quoi il a diminué régulièrement jusqu'à mi-mars 2005. Quelques observations ont encore eu lieu en avril et début mai. Ces oiseaux ont surtout été entendus dans le nord de la Suisse, dans une moindre mesure dans les Alpes. Aucune donnée n'a été apportée au sud des Alpes. Une seconde invasion de Bouvreuils «trompetants» a eu lieu entre le 26 octobre 2005 et le 23 avril 2006. Le maximum a été atteint en novembre déjà, après quoi les observations n'ont fait que diminuer. La répartition des observations était semblable à celle de l'hiver précédent, avec toutefois plus de données en Valais central et une première mention au Tessin.


illustration

Bouvreuil pivoine mâle adulte, Epalinges VD, mars 1997. L. Maumary.

Le Bouvreuil pivoine niche dans les forêts boréales, tempérées et montagneuses de l'Europe occidentale à l'Asie orientale. La sous-espèce nominale niche de la Scandinavie à travers la Russie jusqu'aux monts Verkhoïansk (Iakoutie) et au sud jusqu'aux Alpes et au nord de la Grèce, remplacée par P. p. europaea des Pays-Bas et du nord de l'Allemagne à la France, P p. pileata sur les îles Britanniques, P. p. Iberiae dans le nord de la péninsule Ibérique et dans les Pyrénées, P. p. rossikowi dans le nord de la Turquie et le Caucase et P. p. caspica dans le nord de l'Iran; trois autres sous-espèces se trouvent dans l'est de l'Asie du Kamtschatka (Russie) à travers la Mandchourie (Chine) jusqu'au JaponBWP. Récemment élevé au rang d'espèce, le rare Bouvreuil des Açores P. murina habite la partie orientale de l'île de São Miguel (Açores). L'Allemagne (300'000-600'000 couples), la Suède (250'000-500'000) et la France (100'000-1'000'000) hébergent les plus grandes populations européennes. Les populations nordiques et orientales sont les plus migratrices. Dans toute l'Europe, les mâles sont plutôt sédentaires alors que les femelles et les jeunes migrent plus ou moins loin. Lorsque la nourriture vient à manquer, les mâles aussi deviennent plus mobiles et la proportion de migrateurs augmente. Dans le sud du continent, le Bouvreuil pivoine n'habite que les massifs montagneux d'où il descend en hiver. Il n'atteint qu'exceptionnellement en hiver le Maroc, l'Algérie et la Tunisie ainsi que Malte et la Sicile.

L'espèce est présente dans toute la Suisse tout au long de l'année, de la plaine à la limite supérieure des forêts mais surtout en moyenne montagne et à l'étage subalpin, avec une densité optimale dans les forêts de conifères du Jura vaudois, le long des Préalpes, des principales vallées du Valais et des Grisons (Mesolcin et Bregaglia inclus) ainsi qu'au Tessin en Léventine et dans le val Blenio. La densité est par contre très faible sur le Plateau, et les régions les plus méridionales du pays comme le Mendrisiotto TI et le canton de Genève sont à peine habitées. Les observations les plus élevées en période de reproduction se situent à 2'200-2'300 m d'altitude, par exemple au-dessus de Zermatt VS et au Parc National Suisse GR. En hiver, le Bouvreuil pivoine peut être observé dans les milieux les plus divers jusqu'à la limite supérieure des forêts, en migration souvent aussi au-dessus de la limite des arbres.

L'espèce est généralement sédentaire en Suisse. Les familles se dispersent dès le mois de juillet et vagabondent en montagne pendant tout l'été. Dans les Alpes, ces mouvements diminuent en septembre puis augmentent à nouveau en octobre. Outre ces déplacements essentiellement de faible ampleur, une véritable migration orientée vers le sud a été signalée, dans le sud de l'Allemagne au moins. Les hivernants arrivent dès le mois d'octobre et surtout en novembre. Ils quittent nos régions entre mi-février et début avril. Au col de Bretolet VS, le pic du passage s'est retardé de 16 jours entre 1958-69 et 1988-99. Les oiseaux indigènes sont enclins à quitter les forêts en automne et en hiver pour descendre vers la plaine et jusque dans les villes en cas de pénurie de nourriture, provoquée par d'importantes chutes de neige. Les derniers oiseaux sont observés hors des sites de nidification fin mars, en avril ou début mai.


Entre l'atlas de 1972-76 et celui de 1993-96, le nombre de carrés occupés est passé de 443 à 447. Dans la région du lac de Constance, l'effectif nicheur a diminué significativement de 70% entre 1980-81 et 2000-02, alors que l'aire occupée s'est rétrécie de 35%. Dans le canton de Zurich, la population s'est réduite de 80% entre 1986-88 et 1999-200033, 34 alors que dans le canton de Genève, l'aire occupée a également fondu de 81% entre 1977-82 et 1998-2001. Les données du baguage à la presqu'île de Mettnau D montrent également un fort recul entre 1972 et 2003. Par contre, l'effectif a augmenté de 11% dans les forêts argoviennes entre 1995 et 2003. Au niveau national, le Bouvreuil est en diminution depuis le début des années 90.

Le Bouvreuil pivoine n'est guère exigeant quant au choix de ses habitats mais préfère les forêts riches en résineux et se trouve donc plus régulièrement dans les étages montagnards et subalpins que dans les boisements de plaine. Sa densité dépend de la présence de lisières étagées, de recrûs forestiers et de jeunes plantations denses d'épicéas Picea abies pour nicher. Le Bouvreuil niche encore dans les bois de feuillus, et au Tessin dans les châtaigneraies là où un sous-bois épais lui assure le couvert exigé. Les conifères, pépinières et haies touffues l'attirent jusque dans les vergers, parcs et jardins au voisinage des maisons, une évolution assez récente chez nous pour ce sylvicole. En hiver, il descend en plaine et se rapproche des maisons pour visiter les mangeoires. Dans les villages de montagne comme à Zermatt VS, jusqu'à 17 individus peuvent apparaître aux mangeoires. Tout au long de l'année, il se nourrit de diverses graines et bourgeons de plantes herbacées, d'arbustes et d'arbres. D'octobre à décembre, il recherche particulièrement les graines de plantes herbacées (surtout des composées), puis lorsque l'offre diminue ou qu'elles sont recouvertes de neige, il se tourne vers les arbres et arbustes (sorbier des oiseleurs Sorbus aucuparia, alisier blanc S. aria et pousses et graines de mélèze Larix decidua notamment). A la fin de l'hiver et au printemps, il affectionne particulièrement les bourgeons des arbres fruitiers, des arbustes ornementaux précoces et des conifères, qu'il cisaille grâce aux bords tranchants de son bec. En mai et juin, il recherche aussi les chatons de saules, Salix sp., peupliers Populus sp. et chênes Quercus sp. et dès juillet des graines et des baies. Il complète son régime alimentaire avec des insectes (surtout des pucerons, chenilles, coléoptères et diptères), des araignées et de petits gastéropodes pendant la période de reproduction. Agile malgré sa corpulence, il peut manger la tête en bas ou incliné latéralement. C'est un oiseau tranquille aux moeurs douces. Il ne montre guère de comportement territorial, pouvant chanter jusqu'à 400 m de son nid et chercher sa nourriture jusqu'à 600 (800-1'200) m de là, raison pour laquelle l'espèce est difficile à cartographier.

Diurne et grégaire, le Bouvreuil vit le plus souvent en couples ou en petits groupes comptant jusqu'à 10 individus. Plus rarement, des bandes de 30-50 sont observées, exceptionnellement plus de 100 oiseaux ensemble. L'espèce migre le plus souvent en petites troupes comptant jusqu'à 10 individus ou en plus petit nombre avec d'autres fringilles. Le cri est un «dhû» aspiré et mélancolique, rapidement répété avant l'envol, alternant parfois avec des «tchu, tchu» peu sonores; les oiseaux qui se nourrissent émettent parfois un murmure de «satisfaction gourmande». Le cri des bouvreuils «trompetants» est un «hin» nasal très différent du sifflement des oiseaux indigènes. Le chant du mâle est un pot pourri de cris et de notes grinçantes, de trilles prolongés et de soupirs; la femelle peut chanter aussi bien que le mâle.

Le Bouvreuil recherche les jeunes recrûs pour y construire son nid, généralement bien caché contre le tronc d'un jeune épicéa Picea abies, plus rarement dans d'autres conifères, des arbres feuillus, des buis-sons denses ou entre les racines d'arbres tombés, le plus souvent à 1-3 (0-14) m au-dessus du sol. A proximité des habitations, il niche dans divers arbres, rarement aussi dans des plantes grimpantes contre des murs. Le nid de brindilles, radicelles, tiges, lichens et mousses, garni de crins et de duvets végétaux, est construit généralement par la femelle seule, accompagnée du mâle qui la surveille. La ponte de 4-5 (3-6) oeufs débute généralement fin avril et en mai ; la ponte la plus précoce date du 10 avril 1943 entre Les Pralets VD et La Bassine VD, où un jeune indépendant et capable de voler depuis au moins 10 jours a été découvert le 19 mai. Exceptionnellement, une femelle construisait un nid le 2 mars 1975 à Ramsei BE. En 1972, après un mois de mars exceptionnellement doux, un nid contenant 4 jeunes de 3-4 jours a été découvert le 20 avril dans la forêt de Bremgarten BE à Berne et un nid contenait 3 jeunes de 5 jours le 23 avril à Sempach LU, situant le début de la ponte respectivement vers le 30 mars et le 2 avril. L'incubation par la femelle dure 12-14 jours et le séjour des jeunes au nid 16-17 jours; ces derniers sont indépendants environ 15-20 jours après l'envol. Il y a souvent deux pontes annuelles normales, les pontes de remplacement étant fréquentes. Les jeunes des couvées les plus tardives quittent le nid dans la première moitié du mois d'août. Les pontes les plus tardives ont débuté le 24 juillet 1975 à Montcherand VD et vers le 28 juillet 1972 à Muttenz BL. A Zermatt VS, à 1'600-2'200 m, le nourrissage de jeunes capables de voler a été observé entre le 12 mai et le 10 septembre. Un jeune était encore nourri par un adulte le 14 septembre 1995 à Saignelégier JU. Des colonies lâches peuvent se former surtout dans les massifs serrés de jeunes épicéas. La densité des nicheurs est souvent de 0.2-2.5 couples/10 ha, dans les hêtraies-sapinières de 1-2 couples/10 ha et peut atteindre dans les jeunes recrûs forestiers et chablis 2.2 couples/10 ha. A Oberdorf SO, 4 couples ont été recensés sur 11.4 ha de jeunes recrûs constitués pour moitié de conifères et pour moitié de feuillus. En 1974, 3 couples ont niché à 200 m les uns des autres dans un parc suburbain d'Olten SO,et 2 nids ont été occupés à 8 m de distance à Sihlbrugg ZH.

L'espèce n'est actuellement pas menacée. Les déclins enregistrés dans certaines régions d'Europe semblent être liés au retour de l'Epervier d'Europe, son prédateur principal, comme cela a été montré en Grande-Bretagne. Une autre cause possible est l'éclaircissement continu de la couronne des résineux, dont la chute des aiguilles est causée par l'émission de produits polluants.



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