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La chronique
de Lionel Maumary

Almanach des migrations

Invasion sans précédent d'Etourneaux roselins

Lionel Maumary, Oiseaux.ch, 28.05.2018

Un afflux d'Etourneaux roselins, d'une ampleur encore jamais observée en Suisse, se manifeste depuis quelques jours dans notre pays. Cette espèce très grégaire, pouvant se rassembler par milliers, est connue pour effectuer périodiquement des invasions vers l'ouest à partir de l'Asie centrale où elle niche habituellement. La Suisse n'est généralement que marginalement touchée par ces afflux printaniers, notamment en Engadine. Cette fois, bien que les cantons méridionaux concentrent les plus grands groupes, toutes les régions de notre pays sont concernées. Des groupes comptant jusqu'à 250 individus ont été observés dans le nord de l'Italie et jusqu'à 20 individus au Tessin et en Valais. Plus de 70 Etourneaux roselins ont été recensés en Suisse pendant la seule journée du 26 mai 2018, alors qu'il n'existait que 33 données de 1900 à 2017 ! Lors des années d'invasions, des essaims pouvant regrouper plusieurs milliers d'individus se forment spontanément autour de tas de pierres, d'où ils disparaissent à peine un mois plus tard, aussitôt la reproduction terminée. Les égarés se mêlent généralement aux troupes de Sansonnets.


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Photos: 3 Etourneaux roselins à Romanel-sur-Morges le 26 mai 2018. L. Maumary & T. Guillaume

L'Etourneau roselin niche du sud-est de l'Europe à travers les steppes et semi-déserts du sud de la Russie, de l'Asie centrale et de l'est de la Turquie au nord-ouest de la Mongolie et au nord du Sinkiang (Chine). Des extensions momentanées de l'aire de reproduction jusqu'à 1'200 km vers l'ouest pour atteindre les Balkans et la Hongrie, se produisent avec une périodicité de 8-10 ans. Avec 200-700 et 100-1'000 couples chacun, l'Ukraine et la Roumanie se partagent deux tiers de la population européenne. Les quartiers d'hiver se situent à Oman, sur le subcontinent Indien et au Sri Lanka. En Suisse, l'Etourneau roselin est un migrateur irrégulier avec 20 données de 1900 à 2006, dont 7 provenant des Grisons (5 à plus de 1'400 m d'altitude). L'espèce n'a été signalée qu'à 3 reprises en Suisse romande et 2 fois au Tessin. Il existe en outre 5 autres données dans les régions limitrophes du lac de Constance depuis 1900.

De 1900 à 2006, à part l'observation d'un oiseau peu farouche ayant séjourné 10 jours de fin avril à début mai 1971 à Hombrechtikon ZH, probablement échappé de captivité, les 13 données printanières helvétiques sont comprises entre le 25 mai et le 11 juin (dont 8 dans la première décade de juin). On connaît 2 données de juillet, concernant probablement des oiseaux en dispersion postnuptiale, et seulement 4 données d'automne entre le 4 septembre et le 5 novembre. Les sites de nidification d'Asie centrale sont occupés de mi-avril/mi-mai à fin juin/début juillet. La migration postnuptiale des adultes dirigée vers le Pakistan et l'Inde est déjà terminée fin août/début septembre. Le gros des jeunes migrent nettement plus tard, et leur passage dans le nord du Pakistan dure jusqu'en novembre. Dans le nord de l'Europe, les derniers retardataires se montrent début octobre, sur les îles Britanniques jusqu'à début décembre, avec des données isolées en hiver. Au printemps, les migrateurs les plus précoces arrivent fin avril/début mai en Scandinavie et sur les îles Britanniques.

Les afflux dans le sud-est et le centre de l'Europe ont le plus souvent lieu en mai et dans la première moitié de juin, plus rarement dans la seconde moitié d'avril, mais lors de l'année d'invasion 1875, les avant-coureurs sont arrivés fin mars déjà dans le nord de la Slovaquie. Des invasions printanières, liées à des pullulations de criquets, atteignent certaines années l'Europe centrale et occidentale, mais touchent relativement peu la Suisse. Les Etourneaux roselins nichent parfois dans l'est de l'Europe centrale à la suite de celles-ci: en 1925, environ 15'000 couples répartis en 6 colonies se sont reproduits en Hongrie. Le plus grand afflux ayant touché la Suisse a eu lieu en 1875, avec 15-20 individus le 5 juin à Lucerne, parmi lesquels 2 ont été tirés, puis un oiseau a été capturé début juin à Flawil SG ; cette année-là, 6'000-7'000 couples ont niché à Villafranca di Verona (Vénétie I), dans le nord-est de l'Italie et des bandes de 40-60 individus ont également été observées dans la seconde moitié de mai à Mittersill (Salzburg A) ainsi que les plus grands groupes jamais observés en France près du Havre (Seine-Maritime) fin mai. Plus récemment, d'énormes invasions ont touché en 1994-96 l'est de l'Europe centrale et le sud-est de l'Europe et en 2000-03 une grande partie de l'Europe, mais n'ont été que marginalement ressenties en Suisse.

Depuis 1996, l'Etourneau roselin a niché chaque année en Roumanie et depuis 1999 en Bulgarie ; en 2002, l'effectif dans ces deux pays était respectivement de 15'800 et 4'800 couples. Ces irruptions sont provoquées par l'accroissement de la population ainsi que par la pullulation des criquets: les campagnes d'éradication menées à partir de 1920 contre les noyaux de reproduction du Criquet migrateur Locusta migratoria dans les zones de captage des fleuves Kuma et Kuban (Russie) ont exterminé les criquets dans les steppes cis- caucasiennes, provoquant le déclin drastique de l'Etourneau roselin. L'espèce n'y apparaît plus aujourd'hui qu'à l'occasion des pullulations de Caloptène italien Calliptamus italicus. L'aire de nidification européenne s'est sensiblement réduite suite à la disparition de nombreux milieux riches en criquets au cours des dernières 100-150 années.

L'Etourneau roselin habite des milieux steppiques et semi-désertiques chauds et secs. Il niche en colonies pouvant rassembler des centaines, voire des milliers de couples dans des crevasses de rochers, éboulis, carrières et cavités de bâtiments. Diurne et très grégaire en toute saison, il se nourrit principalement d'insectes (orthoptères surtout) et d'autres invertébrés, en fin d'été et en automne aussi de fruits et de baies (mûres Morus sp., raisins Vitis sp., cerises Prunus sp., cassis Ribes sp. etc.) ainsi que de nectar en hiver. L'Etourneau roselin recherche sa nourriture en trottinant dans l'herbe rase ou sur le sol nu; il accompagne volontiers le bétail en train de pâturer. Dans les essaims de criquets, il vole au ras du sol et fait s'envoler les insectes par des coups d'ailes et les capture au vol. Les chardons et autres grandes plantes herbacées ainsi que les buissons et les maquis sont aussi visités. Les oiseaux égarés en Europe centrale et occidentale se joignent le plus souvent à des troupes d'Etourneaux sansonnets. De petits groupes de 2-3 individus ont été observés à trois reprises en Suisse, au maximum 15-20 oiseaux lors de l'invasion de 1875. Les cris émis en vol sont des «ki-ki-ki» et un «churrr» semblables à ceux de l'Etourneau sansonnet.

L'espèce ne paraît actuellement pas menacée. L'utilisation massive de pesticides contre les criquets cause cependant une mortalité importante chez l'Etourneau roselin, comme en 1985/86 avec l'hexachlorane dans les steppes cis-caucasiennes. L'espèce souffre aussi de la transformation de ses habitats, du surpâturage, de la perte de sites de nidification ainsi que des dérangements sur les sites de reproduction. L'augmentation du nombre d'observations et de nidifications dans le sud-est de l'Europe et en Hongrie indique toutefois que l'Etourneau roselin y retrouve localement des ressources alimentaires adéquates.



Données suisses de 1900 à 2017 (33):
[1] 3 juin 1909: Burgdorf BE, 1 ind. tiré ;
[2] juillet 1909: Sorengo TI, 1 ind. capturé ;
[3] 4 septembre 1934: Weesen SG, 1 ind. trouvé, spécimen conservé au Kunsthaus de Glaris(C. Staeheli) ;
[4] 1er juin 1937: Mels SG, 2 ind. ;
[5] 12 juillet 1960: Rottenschwil AG, 1 ?, trouvé vivant puis meurt, conservé au Naturhistorisches Museum de Bâle (R. Winkler) ;
[6] fin avril-début mai 1971: Hombrechtikon ZH, 1 ind. (E. Kundert) (catégorie D);
[7] 26 mai 1987: Biela/Brigue VS (M. Müller, R. Waldis) ;
[8] 11 juin 1989: Claro TI, 1 ad., photo (A. Frei) ;
[9] 5 novembre 1993: Payerne VD, 1 ind. 1 a.c. capturé, photo ;
[10] 3 juin 1995: Lavin GR, 3 ind. min. 2 a.c. (B. Senn, D. Zucol) ;
[11] 10 juin 1995: Zernez GR, 1 ind. min. 2 a.c. (R. Ganzoni) ;
[12] 7-9 octobre 1999: Bever GR, 1 ind. 1 a.c. (K. & L. Felix, M. & F. Suter, W. Bürkli, M. Merker) ;
[13] 8 juin 2000: Craistas/Santa Maria val Müstair GR, 1 ind. (M. Müller-Buser) ;
[14] 25 mai 2001: Tschlin GR, 1 ind., photo (D. Thiel) ;
[15] 27 mai 2001: Pratval GR, 1 ind. (J. Hassler) ;
[16] 27 mai 2001: Granges SO, 2 ind. (W. Christen) ;
[17] 3 juin 2001: Kaltbrunner Riet SG, 1 ind. (H. Geisser) ;
[18] 7 juin 2002: Avers GR, 1 ind., vidéo (E. Detli et al.) ;
[19] 8 juin 2002: Veysonnaz VS, 1 ad., trouvé affaibli puis meurt, conservé au Musée cantonal d'histoire naturelle de Sion, photo (J. & A. Métrailler, C. Délèze, B. Posse) ;
[20] 10 octobre 2002: Clarmont VD, 1 ind. 1 a.c. (J. Duplain) ;
[21] 14-15 août 2007: Bellechasse/Bas-Vully FR, ad. 1 a.c. (M. Zimmerli) ;
[22] 30 avril-2 mai 2007 : Pizzante/Locarno TI, m. ad. Chanteur, phot. (C. Scandolara et al.) ;
[23] 28 mai 2008: Oberglatt ZH (U. Käppeli) et Neeracherried ZH 1 ad., phot. (C. Rösti, M. Thoma, S. Steiner)  ;
[24] 17 septembre 2008: Horgen ZH, 1 ad. (K. Felix) ;
[25] 11-25 juillet 2009 : Les Grangettes VD, ad., phot. in Nos Oiseaux 56 : 158, 2009 (A. Barbalat et al.) ;
[26] 29 mai 2011 : Romanel-sur-Lausanne VD, m. ad. (J.-L. & M. Zollinger) ;
[27] 3 juin 2011 : Einigen/Spiez BE, 1 ind. min 2 a.c., phot. (A. & I. Freuler, C. Buchli) ;
[28] 3 juin 2011 : Kriens LU, 1 ind. min 2 a.c., phot. (M. Thoma et al.) ;
[29] 26 mai 2012 : Sant'Antonino TI, au moins 2 a. c., phot. (T. Roth et al.) ;
[30] 31 mai 2012 : Guarda GR, m. ad., phot. (B. Häusler, V. Pangrazzi) ;
[31] 4 juin 2012 : Zernez GR, m. ad., phot. (M. Müller, A., W., J. & B. Abderhalden) ;
[32] 23-24 mai 2013 : Riedikerried/Uster ZH, phot. (S. Kohl et al.) ;
[33] 25 juin 2014 : Loèche, phot. (P. Frei).
Avant 1900: quelque 15 données, dont un groupe de 15-20 ind. le 5 juin 1875 à Lucerne, dont 2 ind. tirés.



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